Interview : expérience de Guénhaël Le Roch en Chine
Guenhael Le Roch, est le directeur administratif et financier de ENENSYS Technologies (CESSON-SEVIGNE, 35) depuis 2006. ENENSYS Technologies est leader technologique mondial sur le #DVB-T2 (équipements professionnels de transmission pour l’industrie de la télévision numérique terrestre). Guénhael LE ROCH a été lauréat du Trophée 2012 Finance & Gestion Bretagne Pays de la Loire, organisé par l’Association Nationale des Directeurs Financiers et de Contrôle de Gestion (DFCG). Guenhael Le Roch répond à nos questions.
– Guenhael Le Roch, vous connaissez la Chine, vous y avez travaillé, votre épouse est chinoise, pouvez-vous nous parlez-nous de vos premiers pas professionnels en Chine ?
Tout d’abord, mon premier voyage en Chine a eu lieu en 1996 dans la banlieue de Shanghai. Je travaillais alors pour le compte d’un groupe breton de mécanique de renom. Une importante filiale du groupe avait conclu un contrat de joint venture (JV), deux ans auparavant, dans le domaine de la fabrication de grues à tour. Il s’agissait alors de la période des JV sino-étrangères dites de « 1ère génération ». Il avait une grande effervescence à cette époque pour nouer des partenariats avec la Chine, qui s’ouvrait au monde sur le plan des échanges commerciaux. Les groupes disposant d’une certaine taille et assise financière faisaient leurs premiers investissements en Chine, généralement pour conquérir le marché intérieur et/ou alors pour se constituer une base de sourcing. Dans certains secteurs, ce type d’opération ne pouvait pas se faire sans un partenaire local, d’où la structuration juridique des montages de type JV. Les sociétés chinoises apportaient les actifs (terrains, bâtiments…) et la main d’œuvre ; les sociétés étrangères apportaient du cash, des transferts de technologies, des managers…
En mars 1996, je visite pour la première fois, cette JV de fabrication de grues à tour, sans penser alors, que deux ans plus tard, j’y serais détaché en tant que Financial Controller. C’était encore la période de « lune de miel » pour cette JV. Les délégations françaises qui lui rendaient visite, étaient formidablement bien accueillies par les chinois et les visites se terminaient par des dîners (banquets) somptueux. Déjà à ce stade, il fallait oser aller au delà de notre « apparence » des choses toute occidentale pour apprécier ce que l’on nous proposait. La communication était alors assurée par un réseau d’interprètes. En effet la génération de managers chinois en place ne parlait pas anglais et côté français, nous ne parlions pas non plus le mandarin. J’avais été à cette occasion très surpris par l’excellent niveau en français des interprètes, dont certains n’avaient pourtant jamais mis les pieds en France. A Shanghai, on croisait encore au hasard d’un carrefour, des milliers de bicyclettes, l’automobile étant alors réservée aux officiels, aux administrations, aux entreprises et aux taxis. Les chauffeurs des voitures de la JV avaient aussi un rôle très important pour nous, car sans eux, il nous était impossible de nous déplacer.
– Parlez-nous de quelques faits marquants que vous avez pu connaître dans votre poste au sein de cette co-entreprise sino-française ?
Au printemps 1998, je reviens dans la JV avec notamment pour mission de réaliser le reporting mensuel. La JV sur le plan opérationnel et des résultats ne fonctionnait pas, en dépit d’un marché interne qui était pourtant b. très dynamique (la seule ville de Shanghai concentrait en 1998 l’équivalent de toutes les grues à tour en service dans l’Union Européenne). Le reporting financier était aléatoire et inexact. La JV n’avait pas réussi à fidéliser les managers locaux très bien formés et qui parlaient anglais. A cette époque, ce type de profil était très recherché par la multitude de projets d’investissements étrangers. Il y avait une inflation considérable de leurs salaires. On pouvait arriver a des situations très surprenantes ou par exemple, un(e) assistant(e) de direction, sur le seul fait qu’il (elle) parlait anglais et était donc en mesure de communiquer avec les managers expatriés, avait un salaire largement supérieur à celui d’un responsable de production, qui avait pourtant des équipes de plusieurs centaines de collaborateurs à gérer ! En matière d’élaboration du reporting financier, j’avais d’abord été confronté aux outils internes (logiciels) qui étaient tous en mandarin ! Le moindre état ne m’était pas directement exploitable. Avec un interprète, j’avais alors constitué une passerelle des états financiers en chinois vers un tableur, pour pouvoir exploiter les chiffres et surtout leur donner du sens. Tout cela peut paraître simple, mais c’était la réalité du terrain. Je me rappelle aussi de la difficulté pour passer une écriture de provision dans les comptes. Pour convaincre le comptable local de la faire, il fallait d’abord le « chop » (tampon officiel) du Bureau des Taxes de la ville ou siégeait la co-entreprise ! Autre anecdote, mais je pourrais vous en citer des dizaines, les fournisseurs locaux créanciers pouvaient faire le siège physiquement du bureau de l’acheteur et ne repartaient pas tant qu’ils n’avaient pas été payées !
Au cours de cette période, j’avais aussi participé à une opération sur la capital avec le rachat des titres du partenaire. Une loi avait ouvert la possibilité au partenaire étranger d’être porteur de 100% des titres de la JV. Ce dossier fut l’occasion d’aborder le sujet très complexe de la valorisation d’une société et du choix du prestataire externe chargé de cette mission, pour la réaliser en toute indépendance. En France, l’exercice de la valorisation d’une entreprise est déjà un sujet à controverses, vous pouvez imaginez de la difficulté dans le contexte d’une co-entreprise sino-française ! En résumé, les chinois privilégiaient alors l’approche patrimoniale au détriment des aspects liés à la rentabilité. Il avait donc fallu faire converger les deux approches dans une ambiance à l’époque plutôt agitée, pour que l’opération finalement aboutisse.
– Au final, qu’avez-vous retenu de cette première expérience professionnelle en Chine !
Ce qui compte dans ce type d’expérience, c’est de voir les choses avancer positivement avec le temps, les relations humaines qui se nouent et qui perdurent (les chinois sont très fidèles en amitié) et la découverte d’une autre façon de penser. Il faut aussi développer des aptitudes et qualités comme la modestie, l’écoute, l’empathie tout en gardant bien entendu le sens des affaires. Bon nombre de managers occidentaux ont échoué, car ils n’avaient pas ses qualités et pouvaient faire preuve d’arrogance, d’impatience et « zappaient » d’un sujet à l’autre sans réelle profondeur. Il faut par ailleurs avoir un réel intérêt pour le pays qui vous accueille, en s’intéressant à son histoire, à sa culture, à ses traditions… Développer du business durable et rentable en Chine, c’est bien entendu possible mais cela nécessite courage, efforts dans la compréhension réciproque et dans les investissements ainsi que de la patience.
– Aujourd’hui, comment vivez-vous la Chine ?
Je la vis au quotidien avec mon épouse qui est chinoise. Nos enfants suivent des cours de mandarin à l’Institut Confucius de Rennes. Nous retournons tous les ans voir la belle famille à Wuhan (province du Hubei). J’ai pu constater sur ces douze dernières années, l’évolution considérable de cette mégalopole, avec l’arrivée du métro, le nouvel aéroport international et sa ligne directe avec Paris, la croissance du parc automobile, des quartiers commerciaux flambant neufs, où toutes les grandes marques mondiales sont présentes, plus de 1 million d’étudiants… Il n’y a pas que Shanghai ou Beijing pour une « stratégie Chine ». Sur le plan professionnel, je travaille dans une société ou l’international est l’un des brins de son ADN et la Chine constitue aussi un débouché direct ou indirect. J’essaie alors d’apporter mon expérience dans les relations avec le monde chinois.
– Pour conclure, avez-vous 2 ou 3 conseils à donner aux entreprises qui s’intéresseraient à la Chine ?
Quelques conseils basiques, pour ceux qui décident d’entreprendre leur premier voyage professionnel en Chine : bien le préparer en amont en faisant faire en mandarin : la carte de visite, la présentation de l’entreprise et de vos produits et une page web type vitrine. Je crois que MyFaguo SAS peut être le partenaire nécessaire pour des traductions et des interprétariats de grande qualité, et aussi pour le référencement de la page web sur les moteurs de recherche chinois. Ne pas oublier non plus dans les valises, quelques cadeaux typiquement français pour les interlocuteurs chinois rencontrés sur place.